Chronique : Belle pomme d’or – Frédéric Paris

Par Lucie Dessiaumes

Belle pomme d’or – Frédéric Paris
Petite alouette n°2 – Modal 2007

Une chronique d’album jeunesse au sein de ce florilège ? Mais bien sûr !

De nombreux enfants du bal, biberonnés aux musiques trad dès le berceau, ont grandi avec Belle pomme d’or. Ce n’est hélas pas mon cas ! Mais s’il s’agit pour moi d’une découverte récente, cet album est aujourd’hui devenu un incontournable de ma discothèque, que j’ai toujours un grand plaisir à écouter et qui m’influence positivement dans ma pratique créative, re-créative et récréative des musiques traditionnelles adressées aux enfants. Car Belle pomme d’or, comme toute bonne création jeune public, est un délice pour toutes les oreilles, les grandes comme les petites, les expertes comme les plus novices.

Publié chez l’excellent label Modal qui produisit entre 1998 et 2012 tant de disques devenus références dans le milieu, Belle pomme d’or (Petite alouette n°2) sort onze ans après son premier opus, Petite alouette (AMTA, 1996), album jeunesse dans le même esprit, tout aussi réussi et malheureusement épuisé. Frédéric Paris, musicien, instituteur, pédagogue Freinet, passionné d’éducation, d’art et de traditions populaires, déploie ce deuxième opus avec autant d’exigence que lorsqu’il s’adresse à un public adulte. Il s’est bien entouré pour l’occasion : Éveline Paris (son épouse), Catherine Paris (sa fille), Jean-Baptiste Paris (son fils), Manu Paris (son frère), mais aussi Jean-Marc Duroure et cinq enfants, toutes et tous membres de la grande famille de La Chavannée.

La Chavannée, c’est une association pionnière dans le centre de la France, implantée à Embraud, une ancienne ferme sur la commune de Château-sur-Allier. La démarche d’éducation populaire fondatrice de l’association, mais aussi son approche de la musique trad à la fois très enracinée et très inventive a eu une influence certaine sur d’autres défricheurs et défricheuses revivalistes (notamment sur l’association dont je fais partie : Les Brayauds-CDMDT63, créée en 1980 dans le Puy-de-Dôme avec des motivations comparables). Depuis plus de cinquante ans, les Chavans collectent, interrogent, pratiquent, développent, transmettent les arts et traditions populaires en Bourbonnais.

Bien ancré en Centre France, ce CD propose vingt-trois chansons, comptines et formulettes traditionnelles collectées en Morvan, Nivernais et Bourbonnais. Mais nul besoin d’être féru de culture ultra-locale pour apprécier ce répertoire d’une grande accessibilité. Celui-ci est très varié et propose des formes toujours appréciées des enfants (énumérations, virelangues, formulettes d’élimination, rondes-jeu, etc.) ainsi que des versions moins connues de chansons devenues des standards : L’alouette est sur la branche, Nous la plumerons, Les prisonniers de Nantes, Gentil coqueliqui. On apprécie la pluralité des thèmes abordés et l’absence d’édulcoration de certaines paroles, marquées par une cruauté qui n’est bien sûr étrangère ni aux enfants, ni au répertoire de tradition orale (« Je lui donnerai trois coups de bâton », « Où est le petit Bernot ? Le petit couteau l’a tué »…).

Mais ce qui distingue cet album, c’est évidemment l’interprétation de ce répertoire. Évoquons pour commencer une curiosité : la grande diversité d’instruments présentée ici, presque tous joués par Frédéric Paris lui-même, à l’exception de la contrebasse (Jean-Marc Duroure), du cornet à pistons (Manu Paris) et des tambours (Jean-Baptiste Paris). Accordéons diatoniques, harmonium, vielle à roue, clarinette, différentes flûtes, cistre, cornemuse ! Auxquels s’ajoutent toute une batterie de petits instruments et ustensile : pinet (clarinette primitive en roseau), corne, forces (sortes de ciseaux pour tondre les moutons), sifflets, grelots, sabots, pailles ! À tant foisonner, bien souvent l’on se disperse et l’on perd en habileté et en cohérence. Ce n’est pas le cas de Frédéric Paris, qui parvient à allier sans faillir vélocité, musicalité et groove tout en développant un style personnel remarquable qui confère son unité à un album dont on aurait pu redouter le caractère disparate. Car outre l’instrumentarium, les formes et les parti-pris sont également hétéroclites : de la comptine Un p’tit ciseau, accompagnée très simplement par un cliquetis métallique, à la transe rythmique de Gentil coqueliqui, de certaines chansons aux harmonies instrumentales et vocales très orchestrées à d’autres, totalement a cappella, des voix de chanteurs et chanteuses confirmé·e·s à celles de tout petits enfants… Cet assortiment bigarré compose pourtant, sur la durée de l’album, un ensemble harmonieux, sobre et audacieux.

Toute personne familière de La Chavannée reconnaîtra immédiatement la « patte » de « Fredo » Paris, directeur artistique, compositeur, arrangeur et interprète de grand talent : ses nappes bourdonnantes (écouter l’album Rue de l’oiseau du même musicien, référence pour nombre de diatonistes), ses accompagnements planants et lumineux à l’harmonium, la dentelle de ses poly-mélodies à la clarinette et à la vielle, les parties de flûtes, fluides comme de l’eau, la couleur « folk-pop » assumée par le cistre, les ponts et ritournelles qui enrichissent savoureusement les thèmes répétitifs et tant d’autres choses encore, bien délicates à nommer… Et voilà qu’une magie oxymorique traverse ce disque, unissant avec évidence des humeurs contraires : espièglerie et mélancolie. Cette mélancolie singulière et envoûtante qu’on trouvera largement déployée dans l’album de La Chavannée Avant soleil levé (Modal, 2006) et dont la voix de Frédéric Paris, pleine de gravité et de douceur, est pour moi l’incarnation vibrante. Ainsi les mélodies enfantines les plus simples s’élèvent-elles, ainsi les chansonnettes font-elles Univers et tranquillement, nous voilà parti·e·s en voyage, comme au fil d’un conte.

La voix de Frédéric s’associe principalement, dans ce disque comme dans bien d’autres de La Chavannée, à celle d’Éveline, reconnaissable à son vibrato si particulier, et celle, gracile, presque blanche, de Catherine. Si mon goût personnel m’a fait, en tant que chanteuse, prendre un chemin très différent, je salue l’harmonie élégante des voix de ces chanteuses, leur sens aiguisé du phrasé, de l’ornementation et apprécie leur interprétation toute en sobriété. Quant aux voix des enfants, elles sont bien entendu très justes, tout à fait charmantes et viennent agrémenter l’album d’un effet-miroir qui ravira les jeunes auditeurs/trices.

Un point positif supplémentaire : le livret du CD contient tous les textes mais aussi des informations détaillées sur les musiques et les usages des chansons, les instruments et autres ustensiles, des références, des sources, une bibliographie… On reconnaît bien là les aspirations pédagogiques et le goût pour le patrimoine toujours appréciables chez les Chavans.

Voici donc un album pour toutes et tous, riche, captivant et sans mièvrerie aucune, à ranger aux côtés d’autres grands noms de la chanson pour enfants (Anne Sylvestre, Alain Gibert et André Ricros, Steve Waring, Les Ours du Scorff…) et, bien sûr, des nombreux albums des différents groupes de La Chavannée.**

 

Lucie Dessiaumes

* Pour se procurer Belle pomme d’or, rendez-vous chez https://phonolithe.fr, distributeur indépendant des musiques de territoire rattaché à l’Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne (AMTA).

** à découvrir sur https://lachavannee.com

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Pour une anthologie discographique du trad’/folk !

Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !

Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.

Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.

La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.

Bonne lecture ! Et bonne écoute !