Chronique : La soustraction des fleurs

Par Thomas Felder
La soustraction des fleurs
Label Signature – France Musique, 2006
De Jean-François Vrod, le public des musiques traditionnelles connaît le travail de fond sur la musique du Massif Central : « Trio Violon » en compagnie de Jean-Pierre Champeval et Olivier Durif ainsi que le non moins mythique « Café Charbon », formations marquantes pour le public des bals et des musiques d’En France. En revanche, on connaît moins les autres attraits de l’artiste : tantôt improvisateur, tantôt performeur, parfois conteur ou même plasticien. Une soif insatiable guidée par une volonté de défricher les champs des possibles du domaine des musiques populaires, d’y développer des outils d’expression où l’art brut n’est jamais loin. Accompagné du violoniste Frédéric Aurier (Quatuor Bela) et du percussionniste Sylvain Lemêtre (Ensemble Cairn, Sacre du Tympan) Jean-François fonde le trio « La Soustraction des fleurs » mettant en lumière avec un album éponyme paru en 2006 une brillante représentation de son travail pour la collection Signature de la radio publique France Musique.
« Le propre des musiques populaires, c’est d’être là où on ne les attend pas ! » cette citation du compositeur Hippolyte Satolas ouvre ainsi le disque « La Soustraction des Fleurs ». S’en suit une série photographique illustrant à merveille la notion de musiques des paysages, appellation initiée par André Ricros et chère à J.F Vrod, également l’auteur des polaroïds figurant tout au long du livret. Cette notion nourrit richement la démarche de l’artiste et le langage musical de ce trio : un questionnement sur les territoires et les pratiques populaires qui s’y jouent, comment aborder leur compréhension et leurs enjeux. Un outil pour travailler, penser le monde d’aujourd’hui et de demain. Ici, l’auditeur est plongé en plein cœur d’un objet musical au discours protéiforme. L’archaïsme des violoneux côtoie l’académisme savant. Des improvisations bruitistes se mêlent aux marches de noces ou aux motets de la renaissance. On joue avec les codes, les esthétiques et les courants. Une annonce de bourrée se transforme en une fulgurante joute verbale, un chant de Pâques transposé en improvisation minimaliste, une radicalité brute, un environnement sonore inédit presque insaisissable. La parole elle aussi est là, par la présence d’un conte et surtout par les nombreux détournements, on est toujours dans le langage improvisé. On cri, on susurre, on siffle, on « kazoote », on chante. On est surtout au plus près de l’environnement de la folie.
Les deux autres protagonistes de ce trio sont le violoniste Frédéric Aurier et le percussionniste Sylvain Lemêtre, véritables clefs de voûte de cet ensemble. Ils sont également très impliqués dans le processus d’écriture musicale du projet et font part d’une belle liberté de ton, d’une grande exigence dans l’exécution et d’une évidente complicité. L’univers de Frédéric Aurier est en parfaite résonance avec celui de Vrod, la relation entre musique de violon du Massif-Central, musique contemporaine et improvisée parait comme une évidence par la fluidité de leurs échanges, la justesse de leurs discours. Le zarb de Sylvain Lemêtre souligne le tout avec beaucoup de finesse et d’intelligence, exprimant un jeu très illustratif et faisant preuve d’une grande inventivité tant au niveau du son et du timbre que du langage improvisé. Notons enfin l’excellente réalisation de prise de son et de mixage, ainsi que la conception artistique du livret très réussie. La soustraction des fleurs est aussi un très bel objet.
Voici donc une musique pour prendre son temps, pour s’interroger, pour s’émouvoir, un discours hors les normes, hors les murs, un disque qui s’écoute comme une histoire.
Thomas Felder
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Pour une anthologie discographique du trad’/folk !
Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !
Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.
Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.
La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.
Bonne lecture ! Et bonne écoute !