Chronique : André Ricros & Louis Sclavis Quartet – Le partage des eaux

Par Thomas Badeau

André Ricros & Louis Sclavis Quartet – Le partage des eaux
Silex – 1990

J’ai découvert ce disque, adolescent, dans une émission radio de Jazz avec le titre Crebe de Chet. J’ai bondi sur ma chaîne pour enregistrer ! Le chant, le rythme, la couleur « jazz français » m’ont tout de suite parlé. Jusque-là, je n’avais jamais eu l’idée d’écouter du trad’ hors Bretagne … alors quand on mélange ça avec des musiciens adulés c’est sans effort ! Le partage des eaux est un album peu connu dans la discographie de Louis Sclavis, mais je pense qu’il crée une orientation importante et nouvelle dans la musique auvergnate de cette période.

C’est une rencontre avec le chanteur André Ricros sous la houlette du tromboniste jazz Alain Gibert en tant qu’arrangeur et producteur artistique. On comprends le titre de l’album comme un mélange du répertoire traditionnel auvergnat et du « Folklore Imaginaire » recherché par l’équipe Lyonnaise de l’ARFI co-fondée par Alain Gibert. Sorti peu après les disques Chamber Music et Chine, le son « Sclavis » y est facilement identifiable. Bruno Chevillon apporte son jeu de contrebasse toujours plein de surprises sonores et rythmiques. Christian Ville à la batterie utilise des patterns inhabituels soutenant avec intelligence les mouvements et les danses. Le jeu et le son des claviers de François Raulin, remplis de folie, complètent le quartet et créent un univers sonore unique vraiment loin des convenances.

Par des arrangements assez simples et aérés les musiciens nous font imaginer des scènes de fêtes, de travail, de nature. Ils enveloppent les chansons traditionnelles d’André Ricros avec respect et profondeur. Les quinze titres sont issus du répertoire auvergnat et arrangés par Alain Gibert, Louis Sclavis et Bruno Chevillon. Ici point de collage artificiel jazz/trad. Tout est fait pour servir les chants et mélodies traditionnelles du Cantal et du reste de l’Auvergne. André Ricros est au centre, son chant est profond, puissant, sa voix chaleureuse et habitée… on est obligé de s’arrêter pour écouter. Sur quelques pistes Ricros joue de la cabrette et dialogue avec les clarinettes et saxophones. Le jeu de Sclavis rappelle et imite par moment la cabrette sur « La Bourrée du Merle » ou « La San Girbazo ». Il s’autorise quelques chorus énergiques. Il ne se place pas au centre mais plutôt dans les réponses et contrechants, faisant toujours parler son inépuisable inspiration mélodique.

Certes, on pourrait penser que le son de cet album a vieilli, par rapport à notre référentiel actuel. Mixage, longueurs des réverbs, synthétiseurs… Mais il faut dépasser ça et se laisser aller à la découverte de ce disque : c’est un disque majeur pour nous, les musiciens trad’.

Thomas Badeau

________

Pour une anthologie discographique du trad’/folk !

Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !

Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.

Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.

La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.

Bonne lecture ! Et bonne écoute !