Chronique : Bourdin – Marchand – Dautel : Chants à répondre de haute Bretagne

Par Rozenn Talec

Chants à répondre de haute Bretagne – Bourdin – Marchand – Dautel
Le Chasse – Marée – 1988

Année 2020 en Kreiz Breizh, en descendant dans mon jardin j’aperçus l’âne, le loup et le petit cheval gris qui chantaient à mon plaisir. Je suis venue vous convier à re-découvrir un trio de chanteurs qui m’a permis d’apprendre à tourner la cassette du transistor pour écouter les deux faces.

Année 1988 : les éditions «Le Chasse Marée» à Douarnenez enregistrent sur cassette et vinyle le trio Gilbert Bourdin / Érik Marchand / Christian Dautel sous le titre Chants à répondre de Haute-Bretagne. La pochette : une photo en noir et blanc d’une jument (sûrement Hypoline!) dans son écurie qui sort la tête et nous regarde du coin de l’oeil.

Années soixante-dix : rue de Saint-Malo à Rennes au dessus de la boutique de la Coop breizh sur le même palier Gilbert, étudiant en faculté de psychologie rencontre son voisin Christian, lui à l’école d’architecture. Ils chantent, boivent, rient et se divertissent. En fin de semaine ils aiment aller en Centre-Bretagne voir du théatre à Saint-Norgant ou bien danser en fest noz dans les hangars. C’est d’ailleurs là qu’ils entendront les chanteurs de kan ha diskan (chant alterné de Basse-Bretagne) Yann-Fanch Kemener et Érik Marchand. Ce dernier est alors en mission de collectage pour Dastum (« recueillir » en breton), une association qui collecte pour sauvegarder et diffuser le patrimoine oral breton : chansons, musiques, contes, légendes, proverbes.

Années soixante : Gilbert à Pluherlin dans le Morbihan, entend chanter sa marraine Marie et les voisines Génie et Joséphine Bégo depuis tout petit. «Ça m’amusait beaucoup car les chansons n’étaient pas très serieuses mais très subtiles… Des histoires d’amours et de curés, les deux mélangés des fois. Il y avait un répertoire global et chaque famille avait ses histoires, ses chansons et chacune en inventait des nouvelles à partir des trames classiques.»

Même si pour l’un c’est une considération de la classe populaire qui explique à travers les textes le monde en général, l’autre un travail et une passion, et le troisième une affaire de famille : ils accordent leur voix pour enregistrer des chants du répertoire gallo. Ils font le choix d’une face avec les chansons parlant des animaux et d’une autre face avec des chansons parlant d’amour. Ils alternent les ronds, les comptines, les pilé menu, les marches, les mélodies. Ils nous transmettent à leur tour ces chants, classique à la première écoute, au texte subtil, à multiples interprétations, tantôt fleur bleue tantôt cocasses.

Cette cassette arrive dans les années quatre-vingt-dix dans le transistor famillial. Tiens ! des chanteurs qui font comme papa mais en français c’est plus facile parce que moi je ne parle pas encore breton. J’écoute, j’écoute encore la cassette, je la retourne, je chante ces histoires d’animaux, ces histoires d’amour, ça me plait et je les connais par coeur. Ce rythme dansant, ce découpage des phrases, ce style, ces voix qui se chevauchent et se relayent dans une complicité avec un plaisir certain de raconter. C’est ça qu’on aime petits et grands : qu’on nous raconte des histoires, auxquelles on croira ou on ne croira pas. À chacun sa vision du monde !

Au-delà des histoires, cet enregistrement nous livrent un fragment de répertoire du pays de Pluherlin et d’à côté que nous pouvons continuer de transmettre et de ré- inventer. C’est aussi une invitation à chercher d’autres chants, d’autres histoires qu’on aimerait raconter à notre tour. Voilà dans cet album de quoi transmettre, raconter, donner en échange, chanter : des fonctions sociales qui nourrissent le collectif. Pour la première fois nous n’écoutons pas des collectages : c’est ici le premier album de chant traditionnel de Haute-Bretagne chanté par des jeunes !

Les histoires charment la vie alors chantons à perdre la raison ! Car dixit Gilbert Bourdin : «Après tout la culture, que se soit un repas de boudin ou un marché à Rostrenen, ce n’est que la construction des relations sociales en fonction de là où l’on se trouve à un moment donné.»

Rozenn Talec

 

________

Pour une anthologie discographique du trad’/folk !

Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !

Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.

Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.

La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.

Bonne lecture ! Et bonne écoute !