Chronique : La maison des bisous – Les Ours du Scorff

Par Elouan Le Sauze

La maison des bisous – Les ours du Scorff
Keltia Musique – 1996

Mais c’est où la maison des bisous ? Alors que les petites filles sont parties pour danser toute la nuit, est-ce que les petits gars les retrouveront dans la maison des baisers ? Les Ours du Scorff c’est comme un dessin animé que l’on a adoré étant petit et que l’on redécouvre adulte. On en a une lecture différente mais c’est toujours aussi plaisant. C’est un appel à l’onirisme enfantin de chacun. La maison des bisous est l’album du groupe qui m’a le plus touché, c’est sûrement « l’album de chansons que je connais le plus par cœur ». Ce CD des Ours du Scorff a marqué plus d’une génération et continuera d’éveiller musicalement bien des enfants. Me replonger dans le monde des Ours pour l’exercice de cette chronique est pour moi comme un retour malicieux à l’enfance.

Le casting des Ours du Scorff est alléchant et tient toutes ses promesses. On y retrouve les chanteurs Gigi Bourdin et Laurent Jouin qui se partagent l’affiche, entourés de Soïg Sibéril à la guitare, de Fañch Landreau au violon, piano, gadulka et guitare, de Jacques-Yves Réhault au banjo et dobro, et du regretté Frédéric Lambierge, plus connu sous le surnom de « Gazman », à l’accordéon et à la guitare. Ces six compères se sont entourés, pour cet album, des « grands ours » invités que sont Jacky Molard à la basse et Antonin Volson aux percussions. Une équipe de joyeux gredins !

Les textes, pour l’essentiel signés par Gigi Bourdin, sont ancrés dans les formes de la chanson populaire francophone. On se situe un peu entre l’esprit de Bobby Lapointe et celui des chansons traditionnelles. Les textes strophiques se mélangent avec des chants à la dizaine ou à décompter. On y retrouve les rythmes des danses populaire de Bretagne comme le tour, l’avant deux, le rond de Saint-Vincent ou la polka… Les mélodies, composées pour l’essentiel par Fanch Landreau ou Soïg Siberil, sont d’une évidente simplicité. Ces musiciens ont tellement bien défini les contours de leur monde musical qu’ils réussissent à changer de couleurs d’accompagnement sans qu’on s’en rendre compte. Ils nous font voyager aux quatre coins du monde, de l’Irlande au pays du bluegrass, en passant par les Balkans ou le Maghreb, et nous rappellent combien la musique est universelle quand elle est jouée comme ça.

Chez les Ours, les animaux sont à l’honneur. On y croise un vieux perroquet qui dit oui à tout jusqu’à se faire plumer, trois petits ours coquins qui font n’importe quoi avant d’aller se coucher, un petit rat d’opéra consolé par un pompier. Ces textes sont légers mais profonds, ils évoquent le monde des fables allégoriques, toujours conclues par une morale. Parmi toutes les chansons, j’y vois deux merveilles aussi onctueuses que du miel : Mademoiselle Lulu, la souris danseuse qui fait tout valdinguer suite aux pressions d’un directeur et de son fiancé, pour finalement partir avec un pompier qui éteint le feu de tristesse qui consumait son cœur, et Il y a, écrite et composée par Laurent Jouin, sorte de Colas tu dors revisité pour voix et piano, accompagnés d’un banjo et d’une guitare.

La pochette de cet album, signée Bernard Collet, nous offre une entrée de plus dans l’onirisme du groupe, près des « sources du Scorff ». L’ours brun, habillé en jean avec un pull orange et un chapeau vert, a les pieds dans le sable et regarde au loin dans une nuit éclairée par un ciel étoilé. Regarde-t-il le départ du père Ruru ? Aperçoit-il la maison des bisous dans laquelle son parrain Lucien et sa marraine Lucienne font tourner les fiancés à petits pas cadencés ? Ou alors, est-il en train de surveiller les trois petits ours qui se sont endormis sur un petit sac de pommes de terre ? Le livret, lui, est orné de dessins d’enfants avec une palette de couleur vive. Une œuvre d’art !

Le rythme de l’album est parfait, il nous conduit dans un voyage au pays des rêves avec une bande d’ours bien léchés et très « loups phoques ». Les morceaux s’enchaînent comme des perles dans la guimauve, il y en a pour tout les goûts. On ne peut pas ne pas se reconnaître à travers cette multitude de couleurs, de décors et d’histoire. L’album a beau avoir été enregistré en 1996, il n’a pas pris une ride. Les chanteurs se partagent l’espace, les tours de mène et les chansons solos et sont toujours aussi bien accompagnés par leurs acolytes. On sent dans cet album un respect, une humilité et une amitié sincère de ces grands ours si élégants.

Cet album est un œuvre marquante pour bien des personnes qui ont eu la chance de grandir avec. Si vous n’avez pas eu cette chance, écoutez-le maintenant, profitez et retombez en enfance pendant quarante-six minutes de plaisir.

 

Elouan Le Sauze

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Pour une anthologie discographique du trad’/folk !

Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !

Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.

Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.

La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.

Bonne lecture ! Et bonne écoute !