Chronique : Trio violon, Champeval – Durif – Vrod – La concordance des temps

Par Sylvain Girault

Trio violon, Champeval – Durif – Vrod – La concordance des temps

Label Silex – 1991

J’ai découvert ce disque dans les années quatre-vingt-dix grâce au label Silex, qui nous a permis de découvrir tant de belles musiques. Et j’ai tout de suite été saisi. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Et je ne comprends toujours pas vraiment aujourd’hui. Je n’ose pas trop me le demander. Je n’ose pas le décortiquer. Je n’ai même jamais essayé de le jouer au violon. Il reste pour moi comme un lieu sacré, un objet que je classe avec précaution, un mystère que je ne saisirai jamais. Et que finalement au fond de moi je n’ai aucune intention de percer. Une sorte de Grand Meaulnes musical.

Après des années de quête d’airs et de danses dans les hautes terres du Massif Central, Jean-Pierre Champeval (violon et alto), Olivier Durif (violon et chant), Jean-François Vrod (violon) ont formé le « Trio violon ». En février 1991, ils se sont réunis au Château de Sédières en Corrèze. Durant trois jours, ils ont enregistré ce petit miracle de musique et de son. Ces onze pièces de musique traditionnelle collectée auprès des violoneux du Limousin et d’Auvergne (hormis une bourrée de l’orage composée par Olivier Durif) rendent un hommage magnifique à des mélodies somptueuses, à des rythmes non réductibles à la partition, à des modes et des ornements assez inouïs pour l’époque. Ce disque a grandement contribué à sortir de l’oubli un répertoire et une culture musicale violonistique qui n’a pas d’équivalent en France, celle des hautes terres du Massif Central.

Aujourd’hui cet album est devenu quasi-mythique. Je connais nombre de musiciennes et musiciens, pas seulement du Limousin ou d’Auvergne, qui lui vouent une admiration sans borne. Il a ouvert la voie à plusieurs expériences musicales qui ont suivi. Je situe par exemple le duo Artense d’Hervé Capel et Basile Brémaud ou plus récemment « Les poufs à cordes » de Noëllie Nioulou et Clémence Cognet dans la lignée de cette belle « concordance ».

Prenons le disque en main. Un nom de groupe « Trio violon » sans originalité mais un titre d’album – La concordance des temps – étrange qui nous invite de suite à l’écoute. Ajoutons à cela une photo de Laurent Rousseau représentant un arbre nu et un ciel. Est-ce le printemps ou l’hiver ? La nature est-elle accueillante ou sauvage ? En tout cas la couleur violet nous apaise et nous invite à la sérénité et à la méditation. La musique se lance et l’on se trouve happés.

Ça commence par une Visite du château. La musique semble venir de loin : un bel unisson de cordes qui progressivement se mue en canon tout en s’éloignant. L’épaisseur d’un ensemble de cordes bourdonnantes dans la belle réverbération acoustique de ce lieu qu’on imagine un peu magique nous plonge dans le caractère secret et mystérieux de l’album. S’ensuit une Bourrée de Chabot entêtante au phrasé implacable. La suite de polkas qui vient après fait entendre quelques harmonies éphémères dans une spirale de cordes enchevêtrées. Mais l’énergie de la danse ne se dément jamais et les unissons sont toujours tirés au cordeau. Sur une boucle hypnotique, Olivier Durif chante avec beaucoup de sobriété la magnifique « bourrée ralentie » La place d’armes (« Je m’appelle Louis Sans-Gêne, je suis un garçon sans façon… »), puis s’enchaînent deux bourrées échevelées entrecoupées de phrases chantées en occitan par Olivier. Le sixième titre est composé de deux thèmes de bourrées (de Geneix et de Lanthyar) interprétées à l’unisson, peut-être les plus beaux du disque. On entend les pieds sur le sol, on perçoit la complicité des trois amis, on ressent l’instant privilégié d’un enregistrement « comme en concert », sans re-recording. La Scottish à Micallet serpente en contrechants tournoyants et en mirifiques variations, avec même quelques pizzicati bruitistes. La courte mélodie En passant par Saint-Amand nous surprend car elle met à l’honneur à la fois un répertoire « non cadencé » et un style de violon très spécifique. Puis Olivier Durif reprend le chant en français sur la huitième pièce Un jour l’envie me prend. Il nous cueille et nous projette dans un univers de recueillement. L’accompagnement se fait très dépouillé puis reprend la mélodie au violon, avant de s’éteindre dans un motif mélodique à la fois simple et mystérieux accompagné d’un bourdon jouant sur ses harmoniques. Retour de la danse à trois temps ensuite avec les Bourrées de Jules Gatignol puis de Léonard de la Védrenne. Encore une fois, c’est hypnotique et ne semble jamais vouloir s’arrêter. Ensuite, la Marche à la cabrette collectée auprès de Léon Peyrat est une mélodie assez ténue, interprétée de manière très têtue pendant plus de dix minutes ! Viennent s’y poser un court conte en oc La rencontre du loup au Viallaneix puis un éphémère motif chanté par Olivier Durif, Chez nous y’a une montagne. Ce n’est qu’en toute fin de morceau qu’apparaît la Bourrée de l’orage composée par Olivier Durif. Et pour le banquet final, le dernier morceau Bourrée à Fenou fait encore la part belle aux phrasés incisifs et aux tempéraments inégaux, avant que la Marche nuptiale de Gustave ne s’estompe en réverbération et ne s’évanouisse dans les couloirs du château…

On peut se raconter beaucoup d’histoires en écoutant La concordance des temps. Des histoires au passé, au présent et au futur. Peut-être parce que cette petite pelote de cordes a su entremêler étroitement et subtilement la rugosité des pieds qui tapent le sol et la spiritualité des esprits qui l’habitent. Qui sait ?

Sylvain Girault

 

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Pour une anthologie discographique du trad’/folk !

Au Nouveau Pavillon nous souhaitons mettre un coup de projecteur sur l’incroyable richesse discographique de la jeune histoire du revivalisme trad/folk de France. On a tous lu dans les médias de la presse culturelle dominante des articles sur « Les 100 meilleurs albums du rock anglais », des sélections des « 50 disques essentiels de l’histoire du jazz ». Du côté des musiques traditionnelles de création, nada. Il est temps de remédier à cela !

Notre projet éditorial tente de mettre en lumière une sélection d’une cinquantaine d’albums qui ont artistiquement marqué l’histoire du revivalisme des musiques traditionnelles en France métropolitaine depuis l’après-guerre et en particulier depuis les années soixante-dix. Des disques qui ont à la fois fait avancer les choses par leur audace artistique, mais aussi influencé les générations d’artistes qui ont suivi. Aucun critère commercial ou de succès public n’a été retenu. Ainsi un album « confidentiel » peut être mis à l’honneur tandis qu’un album vendu à des milliers d’exemplaires peut être quant à lui volontairement mis de côté.

Pour nous aider à opérer cette sélection – qui est encore en cours de rédaction – nous faisons appel à des musicien.nes professionnel.le.s des musiques traditionnelles. Puis nous demandons à certaines d’entre elles et certains d’entre eux de chroniquer l’album, de faire partager leur passion pour ce disque. C’est cette dimension horizontale « échange de savoirs » qui fait l’originalité de cette publication.

La série d’articles est publiée sur internet mais elle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une publication écrite ultérieure dans quelques années. Vous allez pendant les mois à venir la découvrir au fil des publications bi-mensuelles sur notre site internet. Mais ici point de classement, juste l’envie de vous faire partager de la belle musique.

Bonne lecture ! Et bonne écoute !